La création d’emplois en Afrique viendra de plus en plus du secteur privé
La majorité
des jeunes africains veulent avant tout avoir un emploi. Avec 10 à 12 millions
de jeunes débarquant sur le marché du travail chaque année, c’est un vrai
challenge ! Beaucoup d’entre eux évoluent dans le secteur informel, mais grâce
aux efforts des politiques publiques, de la société civile et du secteur privé
(via le social business), certains réussissent à monter leur propre affaire.
Entretien avec Elsie Kanza, directrice de la zone Afrique du World Economic
Forum.
Comment favoriser l’entreprenariat chez les jeunes
africains ?
Nous
observons deux types d’entrepreneurs : ceux qui entreprennent parce qu’ils ont
envie d’innover et voient une vraie opportunité dans l’entreprenariat, et les
petits entrepreneurs qui le font par défaut – parce qu’ils sont en chômage
longue durée, par exemple.
Cela
implique deux types d’interventions : pour les premiers, qui cherchent à se
développer et sont ambitieux, prêts à prendre des risques, leur problème c’est
l’absence de capitaux disponibles. Il faut donc les accompagner dans leur
recherche de fonds pour qu’ils puissent transformer une start-up en une entreprise
multimillionnaire : les petites entreprises ont besoin d’un vrai système de
financement de leur croissance.
Pour les
deuxièmes, même s’ils sont moins enclins à grossir, ils doivent malgré tout
dégager des profits suffisants pour pérenniser leur activité. Nombre d’entre
eux sont contraints de se développer dans le secteur informel. L’objectif est
donc d’installer un environnement favorable aux affaires dans le secteur
formel, afin d’éviter leur marginalisation et leur permettre de bénéficier des
avantages à être reconnus donc pris en compte par leur gouvernement.
Dans tous
les cas, il est important d’améliorer le « tutorat », la formation et
l’accompagnement de ces jeunes pour les aider à transformer une idée en un
business durable et à saisir des opportunités de marché, localement comme
régionalement. Tous les acteurs devraient se mobiliser – public et privé.
Quels sont les freins à l’investissement et à
l’entrepreneuriat féminins en Afrique ?
Un obstacle
que j’ai observé n’est pas le manque d’idées des femmes africaines mais les
contraintes qui s’imposent à elles – certaines sont sociétales, familiales,
culturelles…
En règle
générale, les entreprises gérées par des femmes sont de taille plus modeste
(moins de 5 employés). Comment les aider à développer tout leur potentiel ? À
se développer à l’échelle régionale ? À être en capacité de manager une équipe
de 100 voire 1000 personnes ? Les politiques publiques de « gender equity »
doivent permettre un accès équitable aux financements et aux ressources, et de lever
les freins à l’entreprenariat féminin. Des innovations ont vu le jour pour
aider spécifiquement les femmes à accéder à des opportunités : des banques ont
ainsi développé des services dédiés à l’entreprenariat féminin – parfois, des
banques entièrement faites pour les femmes ont même été créées ! Dans les deux
cas, ces banques proposent des produits et services taillés sur mesure pour les
femmes. Par exemple, en Tanzanie, jusqu’à peu (et c’est parfois toujours le
cas) les banques exigeaient un bien immobilier comme caution pour accorder un
prêt, ce qui freinait l’accès au financement pour les femmes puisque les femmes
n’avaient pas le droit de posséder un bien immobilier. Face à ce constat, des
banques ont mis en place des systèmes permettant d’obtenir un financement avec
d’autres formes de caution que l’immobilier.
Roger Nord, directeur adjoint du département Afrique
du FMI, mentionne que « le grand défi de l’Afrique est une
croissance créatrice d’emplois et pro-poor ». Comment relever ce
défi ? Quelles sont vos recommandations ?
Etant donné
que l’Afrique est le continent le plus jeune du monde et qu’on estime que d’ici
2050, on aura un milliard de jeunes supplémentaires sur le marché du travail,
le besoin de trouver des modèles de croissance qui peuvent créer de l’emploi
pour cette jeunesse est évident – et ce, dans tous les secteurs de l’activité.
Le modèle
africain est surtout agricole : le challenge est donc de faire de cette
agriculture un mode de vie attractif (permettant d’obtenir une vie confortable
et d’atteindre ses objectifs personnels). Cela n’arrivera que si les dirigeants
de la société dans le domaine des entreprises, de la politique, des milieux
universitaires et autres parviennent à dégager des fonds structurels pour
permettre à nos agriculteurs de passer de productions de base à des biens
entièrement transformés, et de s’étendre sur les marchés extérieurs.
Dans le domaine
des services, certaines industries tertiaires comme la finance, les
télécommunications, la vente et le tourisme, émergent comme des secteurs qui
pourraient créer les emplois de demain. Le défi est ici d’améliorer
l’efficacité, la productivité et la compétitivité de ces secteurs afin qu’ils
génèrent ces emplois dont nous avons besoin.
Enfin, bien
que l’Afrique semble ne pas avoir bénéficié du processus d’industrialisation,
le secteur industriel conserve un grand potentiel de croissance génératrice
d’emploi, à la condition que l’Afrique développe l’industrie à forte intensité
de main d’œuvre peu qualifiée : ce qui est une question intensément débattue
car la nature de l’industrie évolue assez peu dans ce sens, de par le monde…
mais je reste convaincue que c’est ainsi que le secteur secondaire peut générer
de nombreux emplois pour la jeunesse.
Globalement,
selon moi, ces perspectives d’emplois viendront de plus en plus du secteur
privé ; le rôle de l’Etat étant quant à lui d’améliorer l’environnement des affaires
pour permettre au privé de générer cette croissance créatrice d’emplois.
Plusieurs Etats ont récemment mis en place des réformes visant cet objectif,
mais les investisseurs privés persistent à considérer l’Afrique comme un
challenge en soi pour faire des affaires. C’est un véritable défi pour nos
représentants politiques que de lever les obstacles à un investissement privé
florissant et créateur d’emplois.
Publié le 13
février 2015
Elsie Kanza
directrice de la zone Afrique du World Economic Forum
directrice de la zone Afrique du World Economic Forum
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