RDC : Denis Mukwege et l'hôpital Panzi victimes de l'acharnement du fisc ?
L'hôpital Panzi, établissement fondé par le
docteur Denis Mukwege, est au centre d'une polémique en RDC.
L'administration lui réclame en effet plusieurs centaines de milliers
de dollars en vertu de l'impôt professionnel sur la rémunération. La
direction de l'hôpital crie quant à elle à l'injustice.
Nous sommes fin décembre 2014. À Bukavu, au sein de l'hôpital
Panzi, fondé par le docteur Denis Mukwege, on se prépare au passage à
l'année 2015 en espérant qu'elle soit meilleure que la précédente.
Pourtant, cette période de fêtes va prendre une tournure assez
inattendue.
>> Lire aussi : "RDC : le discours de Denis Mukwege, prix Sakharov 2014, devant le Parlement européen"
"Nous avons été surpris d’apprendre, le mardi 29 décembre, que la
Direction générale des impôts (DGI) avait viré 43 millions de francs
congolais du compte de l’hôpital de Panzi vers celui du Trésor public",
raconte le docteur Grâce Muhima, présidente de l’assemblée générale de
Panzi. Le résultat d'un contentieux entre le fisc congolais et les
responsables de l'hôpital.
Que s'est-il passé ? Où en est-on aujourd'hui ? Jeune Afrique fait le point.
Que reproche l'administration congolaise à l'hôpital ?
L'administration fiscale estime que l'hôpital Panzi, qu'elle
considère comme une structure privée, contrairement à ce qu'affirment
ses défenseurs, n'a pas rempli ses obligations concernant l'impôt
professionnel sur la rémunération (IPR) depuis 2012. Depuis septembre
2014, elle considère en effet comme imposables les primes versées au
personnel par leur employeur.
L'hôpital Panzi a fait obstruction au contrôle fiscal annuel.
Dieudonné Lokadi Moga, Directeur général des impôts
"Panzi a refusé la retenue à la source de l'IPR", explique Dieudonné
Lokadi Moga, directeur général des impôts, dans une conférence de presse
le 5 janvier 2015. Suite à un contrôle fiscal débuté en mars 2014, la
DGI a donc opéré une saisie de 43 millions de francs congolais (environ
46 000 dollars) sur le compte de l'hôpital au titre de l'exercice 2012.
Elle se réserve même la possibilité d'une opération plus importante,
représentant plus de 600 millions de francs, soit près de 650 000
dollars, au regard de l'année 2013. "L'hôpital Panzi a fait obstruction
au contrôle fiscal annuel", soutient Dieudonné Lokadi Moga.
Que répond l'hôpital ?
De son côté, l'hôpital Panzi crie au scandale. "Nous ne refusons pas
de payer l’impôt car cela est un devoir civique. Mais comment comprendre
que nous soyons le seul hôpital général de référence du pays à être
astreint à payer l’IPR ?", s’interroge le docteur Muhima, présidente de
l’assemblée générale de Panzi.
C’est l’État qui leur paye leur salaire et soutire à la base cet impôt.
Jean de Dieu Cubaka, médecin à Panzi
Selon sa direction, Panzi possède le statut d’Hôpital général de
référence (HGR). Il estime surtout, sur la base d'une convention
étatique du 21 août 2010 et d'une déclaration de l'Inspection générale
de la santé du Sud-Kivu datant de janvier 2013, deux documents que Jeune Afrique
s'est procurés, que c'est à l'État d'assurer la fourniture des
médicaments, les frais de fonctionnement et le versement des salaires
des agents sous statut public, soit environ 200 personnes. Et donc que
l'administration fiscale doit récupérer à la source le montant de
l'impôt. "Ces employés sont des agents de l’État à part entière, à
l’instar du personnel d’autres HGR qui sont soumis à un régime fiscal de
prélèvement à la source par le ministère des Finances", explique Denis
Mukwege.
>> Consultez la lettre de l'Inspection générale de la santé du Sud-Kivu concernant le statut de Panzi et la Convention de partenariat entre la DGI et l'Église du Christ au Congo, à laquelle est affilié Panzi.
"Les agents qui travaillent dans les hôpitaux généraux sont des
agents sous statut, c’est-à-dire des agents de l’État. C’est l’État qui
paye leur salaire et soutire à la base cet impôt", renchérit Jean de
Dieu Cubaka, qui officie à Panzi.
Denis Mukwege affirme payer environ 8 400 dollars de taxes par an pour la rémunération de 90 employés qui n'ont pas encore obtenu le statut d'agent de l'État.
Selon la version de l'hôpital, l'administration fiscale n'a donc
aucun droit de demander le prélévement de l'IPR. Denis Mukwege, qui
affirme rémunérer 90 employés qui n'ont pas encore obtenu le statut
d'agent de l'État, et payer un impôt de 8 400 dollars à ce titre,
réclame le remboursement de la somme saisie le 29 décembre. Ce que
n'envisage pas une seule seconde la DGI pour le moment.
La direction de Panzi affirme avoir tenu, le 20 septembre 2014, une
réunion avec la DGI, dans lequel il serait "apparu que certaines
formations médicales, jouissant du même statut que l’Hôpital général de
référence de Panzi, ne paient pas cet impôt bien qu’accordant à leurs
agents des primes locales et cela en vertu de la loi". Et de citer un arrêté départemental du 22 juillet 1987, que Jeune Afrique
reproduit ci-dessous, portant fixation des modalités et conditions de
répartition des recettes générées par les praticiens médicaux et
paramédicaux du secteur public.
L'État a-t-il tort ?
"Panzi étant un hôpital de référence, l'État devrait allouer des
salaires à tout le personnel de l'hôpital. Il ne le fait pas et
l'établissement se force donc à accorder une petite prime à ses
employés. Et c'est cette prime que le gouvernement veut taxer
aujourd'hui", s'indigne la Société civile du Sud-Kivu.
C'est une structure privée contrairement à ce qui a été dit dans les médias.
Dieudonné Lokadi Moga, directeur général des impôts
"Vous pouvez aller consulter la carte sanitaire de la RDC, la zone de
santé d’Ibanda fait partie des zones de santé reconnues par l’État
congolais et l’hôpital général de référence de Panzi est l’hôpital
reconnu comme hôpital étatique dans cette zone de santé", assure Denis
Mukwege. "Tant qu’on ne nous a pas encore enlevé ce statut d’hôpital
général de référence, le traitement que nous subissons est un
acharnement", insiste-t-il.
"Panzi ne fait pas l'objet de discrimination et est soumis au même
régime que toutes les autres formations hospitalières. C'est une
structure privée contrairement à ce qui a été dit dans les médias",
affirme pourtant Dieudonné Lokadi Moga.
Panzi est l’hôpital reconnu comme hôpital étatique dans la zone de santé d'Ibanda.
Denis Mukwege, Fondateur de Panzi
En rapport avec le contentieux, Panzi a assigné en justice depuis le 4
novembre 2014 la DGI, la Banque commerciale du Congo (BCDC), qui a
effectué la saisie, et l’État congolais devant la Cour d’appel de
Bukavu. L’affaire, fixée initialement au 18 novembre 2014, a été
reportée sine die suite à une grève des magistrats puis au décès de l'un
deux à la veille de la date d’audience. "La justice ne fonctionne pas",
déplore Denis Mukwege.
"Le docteur Mukwege a la possibilité de négocier le montant et les
échéances, en apportant des preuves", estime Lambert Mende, ministre de
la Communication. "S'il n'entre pas en contact avec la direction des
impôts, on risque de lui prendre encore 600 000 dollars, au regard de
l'exercice 2013/2014", ajoute-t-il.
Est-ce une affaire politique ?
Au vu de la personnalité de Denis Mukwege, personnage public très
populaire dont le travail est internationalement reconnu, des doutes sur
les véritables motivations de l'administration n'ont pas tardé à faire
surface. D'aucuns parlent d'acharnement tandis que l'ombre d'une
manœuvre politique plane sur le dossier, alors que le chirurgien s'est
vu remettre le prix Sakharov, fin 2014.
À cette occasion, il avait durement critiqué le pouvoir congolais,
qu'il accusait, devant le Parlement européen, d'être incapable de
protéger la population. Il s'était également exprimé, en tant que
citoyen, pour dénoncer les tentatives de modification de la Constitution
en vue de permettre à Joseph Kabila de briguer un nouveau mandat en
2016.
"Je réfute catégoriquement les allégations selon lesquelles il y a
acharnement sur le docteur Mukwege", répond Dieudonné Lokadi Moga,
directeur général de la DGI. "Si tout le monde refuse de payer l'IPR,
quel pays voulez-vous construire demain ?", poursuit-il.
C'est le respect qui lui est dû qui explique qu'il ait pu échapper à ses obligations pendant tout ce temps.
Lambert Mende, Ministre de la Communication
Lambert Mende ne dit pas autre chose. "Tout le monde paie l'impôt,
quelle que soit sa position, même le président Kabila", explique-t-il.
"C'est le respect qui lui est dû qui explique qu'il ait pu échapper à
ses obligations pendant tout ce temps. Le docteur n'a pas daigné
répondre [à la DGI], même pas avec un accusé de réception", ajoute-t-il,
entrant en contradiction avec les déclarations de l'intéressé qui
affirme que les responsables de l'hôpital et l'administration fiscale
ont eu plusieurs réunions depuis septembre 2014.
Le ministre de la Communication refuse toutefois de confirmer que le
gouvernement est particulièrement attentif à ce dossier. "Nous n'avons
pas cette mentalité", répond-il. Denis Mukwege, quant à lui, refuse
toute spéculation. "Vous me posez la question 'Pourquoi seulement
maintenant ?'. Je crois qu'il faut le demander à ceux qui ont posé cet
acte. Je ne voudrais pas aller au delà des faits constatés", se
contente-t-il de déclarer.
Commentaires